Je suis thérapeute de métier, influencée grandement par la pensée de Carl Rogers (Approche Centrée sur la Personne).
Les attitudes fondamentales en entretien selon Carl Rogers (la compréhension empathique, le regard positif inconditionnel et la congruence) sous-entendent la posture de non-savoir vis-à-vis de mon client. Je ne connais rien de l’autre et je ne peux rien affirmer de lui. C’est en l’écoutant que je le connais. De ma manière de l’écouter, dépend la profondeur de la connaissance que j’ai de lui.
Est-ce que je l’écoute avec ma tête, avec mon cœur, avec mes tripes, avec la totalité de mon être ? Est-ce que je me laisse surprendre par ce qui jaillit de lui ou est-ce que je décide que je le connais déjà à travers ce qu’il donne à percevoir de son apparence ?
Cette posture ne se décrète pas. Elle est rendue possible par une longue maturation intérieure provenant de l’intégration du champ théorique de Carl Rogers et du travail sur soi.
Devenir un livre ouvert pour soi-même
J’effectuais ce travail sur moi en suivant l’enseignement d’Arnaud Desjardins (je relate ma rencontre avec son enseignement dans l’article suivant). La connaissance et la maîtrise de soi, résultats du travail effectué sur le psychisme, constituent les étapes préliminaires indispensables au chemin spirituel. En ce sens, le travail psychologique et le chemin spirituel ne s’excluent pas*.
Ce travail que j’effectuais avec moi-même ne se faisait pas une heure par semaine dans le cabinet du thérapeute ni une semaine par an à l’ashram. Il se faisait chaque fois que je m’en souvenais au quotidien, peu au départ, fréquemment plus tard, le plus souvent possible selon ma vigilance.
J’ai eu la chance immense d’éprouver assez naturellement de l’intérêt pour mon monde intérieur caché derrière mes manifestations de surface (mes colères si fréquentes, mes angoisses non moins fréquentes, mes peines à aller chercher car bien cachées derrière mes colères, mes joies exubérantes: l’origine de mes pensées délirantes),
« Qui se connaît, connaît aussi les autres, car chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. » Montaigne
Je suis devenue ainsi un livre ouvert pour moi, un livre de connaissance, dans le sens de « connaître, c’est être »**.
En m’appuyant sur ce livre de connaissance, je laisse la connexion se faire entre moi et mon client et, jour après jour, mois après mois, année après année, je découvre la profonde originalité de l’autre et l’universalité de nos joies, nos peines et nos espérances.
* P. DEMIANOVITCH OUSPENSKY, 1ère conférence, L'homme et son évolution possible, Editions DENOËL **Arnaud DESJARDINS, « Maître, où demeures-tu? », En relisant les Evangiles, Editions de La Table Ronde